(F) Les aboiements hantent le couloir de la mort

SOCIÉTÉ
France le 11 septembre 2008

Les aboiements hantent le couloir de la mort


Depuis la promulgation de la nouvelle réglementation en matière de chiens dangereux, la fourrière de Saint-Pierre doit faire face à une recrudescence des abandons d’animaux. Une situation qui se traduit par une vague massive d’euthanasies de chiens dont le seul tort est bien souvent de ne pas être assumés par leurs propriétaires.

Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage, c’est bien connu. Encore faut-il que le virus mortel sévisse à La Réunion, ce qui n’est pas le cas. En revanche, le durcissement de la loi sur les molosses, lui, est bien réel et a tendance à provoquer une recrudescence des abandons de chiens devenus soudainement “dangereux”. C’est notamment le cas à Saint-Pierre où la fourrière euthanasie à tour de bras des animaux souvent en bonne santé que leur maître, forcément attentionné, a un jour décidé de déposer, paniqué qu’il était à l’idée de devoir répondre des actes d’un animal qui de toute façon n’est pas en règle dans 95 % des cas.


Pour Eddy Turby, responsable de la fourrière de Saint-Pierre : “Les gens devraient réfléchir avant de prendre un chien qu’ils ne sont pas sûrs d’assumer”. (Photo Jean-Claude François)

Le couloir de la mort plutôt qu’un vaccin et un tatouage qui, il est vrai, lierait à vie l’homme et son meilleur ami. Le constat est pourtant sans appel. “Depuis janvier, trente-neuf Pittbul et American Staffordshire et trente-trois Rottweiler ont été euthanasiés soit en moyenne entre deux et trois chiens tués par semaine”, dénombre Eddy Turby, directeur des fourrières animales de la Civis dont dépend celle de Saint-Pierre.



Il s’agit de chiens de catégorie 1 et 2, considérés comme “chiens dangereux” au regard de la nouvelle réglementation, mais qui, pour l’immense majorité, ne viennent pas de la rue.
“LES CHIENS QUI ATTERRISSENT ICI SONT EUTHANASIÉS”
“L’année dernière c’était la folie, on retrouvait des chiens tous les matins. Dans le meilleur des cas, ils étaient balancés par dessus la clôture de la fourrière, mais parfois ils étaient attachés au grillage ou simplement déposés devant en liberté, se souvient Eddy Turby qui ne compte pas les anecdotes navrantes sur le sujet. Et s’il n’a peut-être pas tout entendu en matière d’excuses, il livre déjà un florilège pathétique.



“Il y a ceux qui prétextent une allergie ou un danger pour leurs enfants, même si le chien vit avec eux depuis quatre ans. Il y a aussi ceux qui jurent ne pas connaître le chien alors qu’ils le nourrissent depuis des années et viennent nous l’apporter en pleurant…” Il raconte aussi le cas de cet éleveur de Pitbull venu un jour se débarrasser de ses chiens reproducteurs parce qu’il avait opté pour une race moins “problématique”. Des comportements très humains pour le coup, mais qui reviennent ni plus ni moins qu’à envoyer sciemment des animaux à l’abattoir. “

Notre règlement est très strict, au bout de quatre jours ouvrables, les chiens qui atterrissent ici sont euthanasiés, indique le responsable de la fourrière. Nous l’expliquons très clairement aux gens avant de prendre les animaux, ils ne peuvent pas dire qu’ils ne sont pas au courant.” Ces abandons de chiens ne sont d’ailleurs pas sans créer de problèmes au sein de la fourrière. “Si les trois quarts n’ont souvent pas de soucis avec les hommes, ils sont souvent incapables de s’entendre avec leurs congénères.

On est obligé de les placer seuls dans les cages et nous ne disposons que de 49 places”, souligne Eddy Turby. Et de rappeler que “l’abandon volontaire d’un animal domestique enregistré est un délit passible de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende”. Encore faut-il que l’animal soit déclaré, évidemment. On pourra également imaginer que la gratuité de la fourrière de Saint-Pierre, cas unique dans le département, favorise cette vague massive d’abandons. Toujours est-il que les aboiements n’ont pas fini de raisonner dans le couloir de la mort de la fourrière de Saint-Pierre
Pierre Verrière
Ce que dit la loi Promulguée le 21 juin dernier, la loi renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux impose désormais aux propriétaires de chiens de 1ère catégorie (Pitbull type Mastiff et Tosa sans pedigree) et 2ème catégorie (American Staffordshire et Tosa avec pedigree, Rottweiler) une évaluation comportementale. Effectuée par un vétérinaire habilité par la préfecture, elle devra être réalisée avant le 1er décembre 2008 pour les chiens de 1ère catégorie et avant le 31 décembre 2009 pour les chiens de 2ème catégorie.

Les résultats de ces évaluations seront ensuite transmis au maire de la commune où réside le propriétaire par le vétérinaire. La loi prévoit en outre que les propriétaires de ce type de chiens devront être titulaires avant le 31 décembre 2009 d’une attestation d’aptitude à la détention d’un tel animal sanctionnant une formation spécifique, autrement dit un “permis pour chiens”. Ces deux pièces seront désormais obligatoires pour toute déclaration de chiens en mairie.


Les vétérinaires en première ligne
Désignés pour effectuer ces fameuses évaluations comportementales, les vétérinaires réunionnais sont encore nombreux à refuser de les réaliser, de peur certainement d’être tenu responsable en cas “d’accident”. Il faut dire que le flou artistique qui entoure la loi a de quoi susciter quelques réserves chez ces professionnels qui ont la lourde charge de désigner lequel est dangereux et celui qui ne l’est pas. Un rôle forcément subjectif, mais qui s’appuie tout de même sur des critères et des observations précises. “On ne parlera pas de la dangerosité d’un chien mais plutôt du risque qu’il peut représenter, indique Katrina Busch, vétérinaire au Tampon qui vient de suivre une formation à l’évaluation de la dangerosité des chiens. On ne pourra jamais dire qu’un chien ne mordra pas, toute la difficulté réside en revanche dans l’interprétation de ses gestes car le chien ne parle pas le même langage que nous. Par exemple, certains chiens se montrent agressifs dès qu’on les approche et peuvent alors laisser penser qu’ils sont dangereux, encore faut-il définir la probabilité qu’il morde et la gravité de la morsure. C’est pour cela que l’on va d’abord s’intéresser à l’environnement de l’animal et au rapport qu’il entretient avec son maître avant de procéder à un examen général.” Une visite d’une heure chez le vétérinaire qui définira également la catégorie de l’animal, si ce n’est déjà fait Son propriétaire, lui, devra débourser entre 100 et 150 euros. Une somme qui, rajoutée à la stérilisation et au tatouage, monte rapidement à 500 euros (hors assurance) la facture obligatoire pour tout propriétaire de chiens dangereux. Reste qu’à La Réunion le durcissement de la loi a l’effet inverse de celui escompté. “Nous recevons beaucoup moins de propriétaires qu’attendus, en revanche nous pratiquons beaucoup plus d’euthanasies”, se désole la vétérinaire.

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