À 80 ans, elle vit dans son auto(15/01/2008)
© BAUWERAERTS
Depuis avril 2007, Suzanne y dort. Il y a quelques jours, son chien est mort de froid dans ses bras
BRUXELLES Le Cinquantenaire, le rond-point Montgomery, la rue des Tongres et ses commerces de luxe, le quartier européen... où les maisons de maîtres se succèdent, où les belles voitures y circulent tout au long de la journée. Un quartier où Suzanne, 80 ans, réside depuis des mois. Malgré son âge, son origine bourgeoise, Suzanne n'a ni belle maison, ni voiture de luxe. D'ailleurs elle n'a même plus de maison ! Tout ce qui lui reste, c'est sa Nissan Micra de 10 ans d'âge.
"C'est là-dedans que je vis depuis un an maintenant", nous dit Suzanne. "On dirait une cloche. Mais je vous assure que je n'en suis pas. Je ne bois pas, je ne fume pas. J'essaie de survivre. De ne pas mourir. Il faut que je combatte pour Caroline, mon caniche de 10 ans. Mon autre chien est mort dans mes bras, de froid, la semaine dernière".
Suite à un malheureux concours de circonstances, Suzanne, qui était destinée à une vie bourgeoise, est passée du paradis à l'enfer. "Mon père était un grand officier de la guerre mondiale. Il a d'ailleurs hébergé, à la libération, le général Leclerc. À sa mort, il a été enterré au cimetière d'Uccle à la pelouse d'honneur". Épouse d'un architecte, Suzanne a toujours travaillé elle aussi. "Lorsque mon mari m'a quitté, ce fut plus difficile, mais j'avais une magnifique maison à Schaerbeek. J'avais pu me l'acheter grâce à mon travail. Et puis j'avoue ma maman m'a toujours aidé". À la mort de cette dernière, la vie de Suzanne a basculé. "Entretenir cette grande maison coûtait cher. Et puis, un jour, j'ai fait un malaise cardiaque. On s'est rendu compte que j'avais le diabète. Vu la gravité, je ne pouvais plus travailler". Et là pas de chance, le dossier de Suzanne à la Vierge Noire a été égaré. "Pendant des mois, je n'ai reçu aucune aide". Ne sachant plus comment faire face aux dépenses, Suzanne a dû se résigner à vendre sa maison. "C'était en 2001, avant la flambée de l'immobilier. Aujourd'hui, j'aurais pu la vendre 3 fois plus".
Suzanne a trouvé un petit appartement à deux pas de son ancienne maison. "J'y ai habité pendant 3 ans. Et puis le propriétaire a revendu à une famille Turque. Mon bail était fini, ils ne l'ont pas renouvelé." Suzanne a tenté de multiples démarches. En vain. "Un juge a donné raison au nouveau propriétaire. Je n'avais vraiment plus rien". C'était le 11 avril 2007. "Je n'ai plus rien. Je suis montée dans ma voiture, j'ai erré. Je ne savais pas où aller. J'ai dormi dans les parcs, sur les parkings". Et maintenant dans le quartier du Cinquantenaire.
"J'ai fait toutes les démarches. Les gens sont émus, mais il n'y a pas de solution pour moi. On a voulu me mettre dans un home. C'est vrai, j'ai refusé. Je veux rester avec mon chien. Une petite maison même loin de Bruxelles. Un petit appartement. C'est tout ce que je demande..."
Emmanuelle Praet
© La Dernière Heure 2008