Le manque de viande pour les réfugiés engendre du braconnage à grande échelle
05/02/2008,
TRAFFIC / L’absence de viande dans les rations destinées aux réfugiés en Afrique de l’Est engendre un trafic florissant de viande sauvage. Avec, pour conséquence, des menaces accrues sur la gestion de la faune sauvage et les moyens de subsistance des communautés rurales. C’est ce que révèle un nouveau rapport de TRAFFIC(1), le réseau de surveillance du commerce des espèces de faune et flore sauvages.
Le rapport «Epinards du soir: les conséquences de la consommation de viande sauvage sur la gestion de la faune sauvage dans les zones d’accueil de réfugiés au nord ouest de la Tanzanie»(2) se base sur des données collectées à Kagera et Kigoma en Tanzanie(3), un pays qui accueille l’une des plus fortes populations de réfugiés au monde et la plus importante en Afrique.
La viande sauvage obtenue illégalement est commercialisée en cachette et cuisinée de nuit, raison pour laquelle elle est appelée «épinards du soir» dans de nombreux camps de réfugiés.
«La consommation de viande sauvage dans les camps de réfugiés d’Afrique de l’Est a aidé à dissimuler l’échec de la communauté internationale à satisfaire les besoins élémentaires des réfugiés», explique le Dr. George Jambiya, principal auteur du rapport. «Les organismes d’entraide ne veulent pas voir les vraies raisons du braconnage et du commerce illégal : un manque de protéines dans les rations des réfugiés», souligne-t-il.
Un nombre élevé de réfugiés a souvent pour corollaire une dégradation importante des habitats et un déclin dramatique de populations d’espèces sauvages dans les zones concernées ; des espèces rares comme les chimpanzés sont menacées par la demande de viande. Les populations de buffles, antilopes des sables, d’autres animaux de pâture ont aussi enregistré des diminutions considérables.
Depuis l’indépendance de la Tanzanie en 1961, plus de 20 grands camps de réfugiés ont été ouverts à proximité de réserves de chasse, de parcs nationaux et d’autres aires protégées. En 2005, il en restait 13.
Vers le milieu des années 90, environ 7,5 tonnes de viande sauvage illégale étaient consommées chaque semaine dans les deux principaux camps de réfugiés.
Selon TRAFFIC, les réfugiés sont doublement pénalisés: leurs droits à un minimum de soins humanitaires ne sont pas toujours pris en compte et leurs propres tentatives pour les obtenir sont criminalisées. Par contre, l’aide humanitaire dont ont bénéficié les populations déplacées en Croatie, Slovénie et Serbie, au cours des années 90, incluait des provisions de conserve de viande (corned beef).
«Quelque chose ne joue pas si les réfugiés qui ont fui pour échapper aux fusils dans leur propre pays doivent à présent fuir pour échapper aux armes des gardes alors qu’ils cherchent à se nourrir», note Simon Milledge, collaborateur de TRAFFIC et co-auteur du rapport.
La viande sauvage coûte moins cher que le boeuf local et elle est aussi plus appétissante, culturellement parlant, pour nombre de réfugiés. Elle leur offre aussi une possibilité de gagner de l’argent. Ceci en dépit de la loi tanzanienne relative aux réfugiés, qui décourage l’autosuffisance à l’intérieur des camps. Pour les organisations environnementales, la solution consiste à fournir de la viande sauvage légale, mais aussi à renforcer les mesures de maintien de l’ordre sur le terrain.
«La triste réalité, c’est que ceux qui dépendent le plus de sources de viande sauvage sont aussi ceux qui d’habitude paient le prix le plus élevé engendré par la perte de biodiversité», explique le Dr. Susan Liebermann, directrice du programme espèces du WWF. «Le WWF demande aux agences humanitaires de veiller à la sécurité alimentaire des réfugiés, y compris à l’apport de protéines animales, afin d’assurer un avenir à tous.»
«La liste rouge de l’Union internationale pour la nature (UICN) montre qu’un grand nombre d’espèces subsahariennes sont menacées, et que 20% du déclin observé au sein de ces populations est causé par le commerce de viande sauvage», indique le Dr. Jane Smart, directrice du programme espèces de l’UICN. «La perte d’espèces sauvages pourrait causer une perte générale de revenus à mesure que les régions se vident de leurs espèces et que les visiteurs perdent leur intérêt à leur égard. Cela pourrait avoir des conséquences économiques et susciter le ressentiment de la population locale.»
Le rapport insiste sur la nécessité de partenariats étroits entre les organismes humanitaires et environnementaux qui ont déjà réalisé des progrès en matière d’impacts causés par les camps de réfugiés, par exemple la déforestation.