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(Les Arênes de Barcelones risque de Cesser leur Activité Taurine)
Moins d'«aficionados»
Par François MUSSEAU
QUOTIDIEN : mardi 30 janvier 2007
En 1971, 55 % des Espagnols se disaient intéressés par la corrida de toros.
Aujourd'hui, ce pourcentage a chuté à 27 %, et rassemble surtout les
personnes d'âge mur. A Madrid, l'Union des éleveurs de toros (UCTL) relève
un nombre de corridas record en 2006: plus de 2000. Cela n'empêche que
l'activité taurine, qui fait vivre 200 000 personnes et brasse 1,5 milliard
d'euros par an, est en crise. Le secteur a souffert de la «vache folle» et
de l'épidémie de la «langue bleue», une fièvre catarrhale. Les pertes
financières sont souvent masquées par le fait que la plupart des corridas et
des arènes sont subventionnées. Et les éleveurs craignent que l'UE taille
dans les aides. Surtout, le sentiment anticorrida gagne du terrain. En
décembre, la ministre de l'Environnement a suggéré (avant de se dédire) que
la variante portugaise, où la mise à mort n'a pas lieu en public, s'impose
en Espagne. D'après un sondage d' El Mundo, 43,6 % (contre 46 %) souhaitent
la fin de l'estocade. Et un tiers des Espagnols veut la disparition de la
fiesta.
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Catalogne
La corrida promise à mort
Les arènes de Barcelone risquent de cesser leurs activités taurines dès l'an
prochain. La pression des anticorrida ne cesse de croître, notamment chez
les indépendantistes catalans.
Par François MUSSEAU
QUOTIDIEN : mardi 30 janvier 2007
Barcelone envoyé spécial
Face aux majestueuses arènes de la Monumental, un chef-d'oeuvre de style
mudéjar de 1913 avec ses touches byzantines et ses toitures en faïence, ils
sont une cinquantaine à évoquer le monde taurin, ses gloires passées et les
difficultés présentes. Chaque jeudi soir, ces mêmes aficionados se
réunissent au Breton, un bar typiquement espagnol avec machine à sous et
jambons accrochés au plafond. Ils forment une peña, un club d'amateurs de
corridas. La leur porte le nom de José Tomas, un torero surdoué,
prématurément retiré en 2000, qui a surtout triomphé à Barcelone. En
sous-sol, dans une cave aménagée où s'attablent les membres de la peña,
Xavier Miguel, un quadra au front dégarni, montre une photo dédicacée du
jeune prodige et invoque son retour en habit de lumières. «Cela nous
aiderait car, depuis quelque temps, on souffre.» A l'approche du début de la
saison (1), il énumère ses doléances : «Chaque dimanche, devant les arènes,
des militants antitaurins nous traitent de "fils de pute" ou d'"assassins".»
Ana Elipe, avocate, renchérit : «Les autorités locales nous ostracisent. On
est comme en résistance, ici !»
Sur le même sujet
* Moins d'«aficionados»
Déclarée en 2004 «ville antitaurine»
A Barcelone, comme dans le reste de la Catalogne, les amateurs du toreo, la
fiesta nationale, se sentent en territoire hostile. On les ignore ou les
regarde de travers. Et lorsque la télévision régionale (TV3) se décide à
parler de leur passion, c'est pour évoquer une marche antitaurine ou parce
que le torero du jour s'est fait encorner. Ces derniers temps, le ton des
autorités est monté d'un cran, laissant entendre que la corrida a ses jours
comptés à Barcelone.
Déjà, en 2004, la municipalité s'était déclarée «ville antitaurine». Le
principal instigateur de cette initiative et deuxième adjoint au maire Jordi
Portabella enfonce le clou : «Cela me paraît délirant qu'au XXIe siècle en
Europe on tue encore un animal pour la délectation du public !» Cet
indépendantiste rêve d'abolir «ce spectacle abject» à Barcelone, et
d'utiliser la Monumental pour y héberger un marché aux puces. Il faut pour
cela l'accord du propriétaire, Pedro Balaña, 82 ans, un gros empresario de
corrida qui, contacté, ne répond pas. Si, comme l'affirme le quotidien El
País, les arènes cessent leur activité à partir de l'an prochain, c'est
l'estocade assurée pour la tauromachie barcelonaise. La Monumental ne serait
pas rentable, explique-t-on en privé. En moyenne, la famille Balaña perdrait
24 000 euros par corrida, ce qui l'obligerait à vendre. Chez les
aficionados, on reconnaît que les 20 000 places des arènes ne sont pas
toujours occupées, loin s'en faut. Mais de là à fermer boutique...
Comme bien d'autres, Angel González, critique taurin au journal conservateur
ABC, flaire autre chose : «Depuis des années, on subit une attaque en règle
de la part des nationalistes catalans. Ils veulent en finir avec la corrida
de toros.» Le premier coup de banderille sérieux contre la fiesta survint en
1988, avec une loi régionale sur la protection des animaux, impulsée par les
nationalistes de Convergència i Unió (CiU), au pouvoir pendant plus de vingt
ans. Furent prohibées les arènes démontables (comme celles d'Hospitalet ou
de Figueras, très fréquentées), ainsi que les lâchers de vachettes dans les
endroits ne pouvant justifier une «tradition» bien ancrée. Autre mesure,
fatale pour les écoles taurines et les vocations : les enfants de moins de
14 ans ne pouvaient plus assister à une corrida sans être accompagnés d'un
adulte. Depuis 2003, ce n'est même plus le cas. Accompagné ou pas, un enfant
n'entre plus dans l'arène.
«Cette torture déguisée en art»
Sans équivalent dans le reste de l'Espagne (hormis aux Canaries, où le toreo
est interdit), l'offensive anticorrida des autorités catalanes s'est faite
au nom de la défense des animaux. Elles ont pu s'appuyer sur des collectifs
une bonne cinquantaine dans la région ayant le vent en poupe. «On est
plus actifs qu'ailleurs, avec un point commun : on ne supporte pas cette
torture déguisée en activité artistique», lâche Nieves Camarero, membre du
Pacma, un parti antitaurin qui, aux dernières législatives catalanes, a
recueilli 13 730 suffrages soit le huitième score. Il y a aussi le poids
de deux formations parlementaires : les écologistes d'ICV et, surtout, les
indépendantistes d'Esquerra (ERC). Sous leur impulsion, 39 municipalités
sont officiellement anticorrida. Les arènes ferment les unes après les
autres, dont l'emblématique plaza de Gérone. Au total, il n'en reste plus
que trois: celles d'Olot, de Tarragone et de Barcelone. Dans la capitale
catalane, précisément, sous l'égide de Portabella, la coalition de gauche
rivalise d'activisme : ont été interdits les spectacles (dont le cirque)
utilisant des «animaux sauvages» et, pour les commerçants vendant des
animaux, leur simple exposition en vitrine.
Reste donc, pour la mairie, à en finir avec la corrida. Un obstacle costaud
ici car, si la région ne possède pas les élevages d'Andalousie ou
d'Estrémadure, elle se targue d'une solide tradition taurine. Certains
historiens attestent l'existence de «spectacles de toros» au XVIe siècle.
Dans maints villages autour de Tarragone, la tradition de correbous (lâchers
de toros) reste vivace. Après l'andalouse Ronda, Olot compte les arènes en
dur les plus anciennes de la péninsule, et les grands toreros catalans n'ont
jamais manqué: Cabré, Bernardo, Marín...
Le cas de Barcelone est plus édifiant encore. Ce grand port a compté jusqu'à
trois plazas de toros. Avec la Maestranza de Séville et Las Ventas de
Madrid, la Monumental est l'une des rares en Espagne avec une vraie saison
tauromachique, les autres plazas se limitant à des ferias, comme Valence,
Pampelune ou Saint-Sébastien. «Le toreo fait intimement partie de l'histoire
de la Catalogne. Depuis les années 70, l'afflux des touristes dans les
arènes catalanes a, il est vrai, fait baisser le niveau et l'intérêt des
aficionados, souligne Angel González. Mais, historiquement, il y a un grand
engouement, tant des classes populaires que de la bourgeoisie.»
Comme la plupart des aficionados, le critique taurin est persuadé que pour
le camp adverse la protection des animaux n'est qu'une excuse. Il s'agirait
en réalité d'extirper de Catalogne une tradition symbolisant l' «Espagne
franquiste, centraliste et folklorique». Aux yeux des nationalistes, plus
encore que la zarzuela (sorte d'opérette) ou le flamenco, la corrida est
estampillée comme pratique non catalane, espagnole, donc étrangère.
Paradoxalement, le nationalisme basque, plus radical et moins intégrateur
avec les maketos (immigrés venus du reste de l'Espagne), a pleinement adopté
la tauromachie comme une tradition propre comme l'illustre la très moderne
plaza de Illumbe, à Saint-Sébastien. Albert Boadella, célèbre homme de
théâtre anticonformiste et aficionado, a son idée sur la question : «Ici, on
veut démontrer au reste de la péninsule que nous , Catalans civilisés, ne
pratiquons pas la torture et l'assassinat d'un pauvre animal sans défense !»
Un autre chantre de la fiesta, José Suarez-Inclán, enrage aussi : «Quel
paradoxe ! Barcelone, le grand emblème méditerranéen de la modernité et de
la coexistence de cultures, veut se défaire de la fiesta comme d'une
scorie.»
La cinquantaine, le bouc bien taillé, Luis Alcántara dirige avec des bouts
de ficelle l'école taurine de Barcelone. Le siège n'est autre que le bureau
de sa société de promotion d'entreprises, au coeur de l'Eixample, quartier
du centre de Barcelone. L'école, sans subvention, ne compte que sept élèves
(contre 28 il y a quelques années) devant s'entraîner sur un terrain de
football cédé par la municipalité d'Hospitalet, en banlieue. «Les
antitaurins ont la cote et je redoute l'effet domino. Si Barcelone tombe,
ils s'attaqueront à Castellón, à Valence, puis à Madrid. Et ce serait la fin
de tout.» Alcántara, qui accompagnait son père aux toros «avant même de
savoir marcher», craint autant les attaques extérieures que la crise interne
(lire encadré page précédente). «Le monde taurin ne sait pas faire face à
ces menaces. Surtout parce qu'il est très égoïste. Une poignée d'éleveurs,
d' empresarios et de matadors font beaucoup d'argent et ne pensent qu'à
leurs intérêts.»
«Image de vieille Espagne rance»
Il n'est pas le seul à donner dans l'autocritique. «Une bonne partie du
monde de la corrida renvoie une image de vieille Espagne rance, figée dans
le passé et droitière psycho-rigide», confie dans l'anonymat un aficionado
de gauche et «catalaniste». De fait, ces dernières années, le drapeau
espagnol «orné» d'un toro est devenu l'étendard de l'extrême droite.
Qui gagnera le bras de fer ? Président d'une «plateforme de défense de la
fiesta» montée en 2004, Luis Corrales est persuadé que l'avenir de la
corrida est assuré à Barcelone, et que le vieux Pedro Balaña maintiendra le
toreo dans «sa» Monumental. Il sait que la communauté autonome de Catalogne
a le pouvoir d'interdire la fiesta (une commission avait été mise sur pied
en ce sens en 2004), mais, tente-t-il de se rassurer, il n'en sera rien, car
le nouveau chef de l'exécutif régional, José Montilla, d'origine andalouse,
est lui-même aficionado. Dans son bureau municipal de la place Sant Jaume,
en plein quartier gothique, le leader anticorrida Jordi Portabella se montre
d'un calme olympien : «Je ne suis pas inquiet. La disparition de cette
tradition anachronique et sauvage n'est qu'une question de temps, en tout
cas en Catalogne. Le public vient à manquer, les jeunes lui tournent le dos,
la préoccupation pour l'animal gagne en force. La corrida est appelée à
mourir ou bien à évoluer. A la fin du XIXe, il y avait un débat féroce pour
ou contre la mort des chevaux dans les arènes. La question s'est déplacée
aujourd'hui sur le toro : faut-il absolument le tuer ?»[right]