18 juin 2010
Le capitaine Watson et son équipage à la poursuite des braconniers de thons rouges.À la poursuite des braconniers de thons rouges Le capitaine Watson et son équipage. DR À bord du Steve Irwin , Frédéric Lewino publie un carnet de bord pour relater les aventures du capitaine Watson, qui pourchasse les braconniers de thons rouges en Méditerranée avec Sea Shepherd.
Au large de la Libye, lundi 14 juinPour le dernier jour avant la fermeture de la pêche au thon rouge, le Steve Irwin insiste au large de la Libye. Ce soir, à partir de minuit, tout thonier pris la main dans le filet sera considéré comme un braconnier. Mais qui, dans ces eaux revendiquées par la Libye, oserait patrouiller, sinon ce "fou" de Paul Watson, avec son équipage courageux ? L'autre jour, le contrôleur de la CICTA embarqué à bord du Jean Charcot nous a bien précisé que la zone de contrôle du navire de l'Union européenne s'arrêtait avant la bande libyenne des 62 milles !
Ce matin, la mer est d'huile. Le ciel est très légèrement voilé, mais l'eau est chaude. C'est le temps idéal pour batifoler quand on porte des kilos de semences et d'oeufs dans ses flancs. Normalement, cette zone devrait être un immense lupanar halieutique cerné par une meute de thoniers senneurs.
Quelque part peut-être, mais en tout cas, pas où nous sommes ! C'est désespérant. Alex s'en arrache les cheveux : "Il faut qu'on les trouve. Je suis certain que si les thoniers français sous pavillon libyen trouvent la zone de frai, ils ne s'arrêteront pas de pêcher ce soir ! Le tout, c'est de tomber dessus." Le temps d'engloutir une seule bouchée de ma tartine recouverte d'une mixture brune que j'avais naïvement prise pour du chocolat (mon Dieu !), il m'a déjà débité de quoi remplir mon blog pour trois jours.
Locky, premier officier du bord qui s'est plongé dans Internet, commence à comprendre qui est Kadhafi. Pour plaisanter, il a inscrit sur le tableau du mess : "We are entering the Kadhafi's line of death." En français : "Nous avons franchi la ligne de la mort de Kadhafi." Mais on sent le jeune officier moins à l'aise. Il hésite sur la route à prendre. Paul Watson n'est pas encore monté sur la passerelle. La veille, il a invité des membres de l'équipage à jouer au poker dans sa cabine, une partie arrosée par une noble boisson faisant la fierté de l'Écosse. James, quartier-maître, vient aux nouvelles. J'en profite pour rectifier une erreur. J'ai écrit, hier, qu'il était musicien professionnel au sein d'un groupe de folk song. Faux : il appartient au groupe punk Ecowar qui a joué à plusieurs reprises à Paris.
Une "ecowar" qu'il continue à jouer, mais en ayant troqué la guitare pour une pince pour couper les filets de pêcheurs.
Du saucisson planqué dans les bagages
Profitons de l'accalmie pour décrire la vie à bord. Le Steve Irwin est un ancien navire des gardes-côtes écossais, construit en 1975. Il possède une vingtaine de cabines confortables occupées par les 32 membres de l'équipage, et moi. Les anciens ont droit à la leur. Les jeunes volontaires en partagent une à deux ou à trois. Ils ont droit à deux ou trois douches pas semaine, pas plus pour économiser l'eau. Les repas sont pris à 7 heures, à 12 heures et à 18 heures. Laura, l'Australienne, aidée par Nicolas (une femme, malgré son nom), est en cuisine. Elles préparent une nourriture forcément végétalienne, c'est-à-dire sans viande (retro satana !), sans poisson (horreur !) et sans produits laitiers (dégoût !). Autant vous l'avouer ici :
j'ai pris la précaution de planquer du saucisson dans mes bagages en cas de sevrage trop dur à supporter. Mais Laura se débrouille suffisamment bien en cuisine pour que je ne souffre pas encore du manque.
Le repas est pris dans le mess, une grande pièce qui est divisée en deux.
D'un côté, une longue table est entourée de fauteuils où chacun prend place sans plus de façon ; de l'autre, un coin salon très cosy avec un poêle électrique simulant une joyeuse flambée. Le charme discret de la bourgeoisie britannique... Aux murs, une fresque représentant des baleines et des dauphins, des posters de créatures marines, et quelques photos d'activistes fameux, comme Robert Hunter, l'un des fondateurs de Greenpeace, grand ami de Watson et mort en 2005. Une bibliothèque contient de nombreux livres et romans sur la mer. Un coin de la pièce est occupé par un bar dont les grilles ne sont levées que lors de circonstances exceptionnelles. Enfin, un monstrueux écran vidéo occupe une paroi.
Sauvée, la tortue
Vers 9 heures, un peu d'agitation sur le pont. Watson décide d'envoyer un hélicoptère en repérage. À 9 h 30, il décolle avec Chris aux commandes et Vanya qui filme. Ils ont pour mission de patrouiller dans un rayon de 45 milles. Chacun espère. Léon, un Australien de 25 ans qui travaille aux machines, guette l'horizon avec un faux détachement. Cet instructeur de plongée à la tignasse blonde et au large sourire navigue depuis un an à bord du Steve Irwin . C'est le roi de la blague. Soudain, il s'adresse à moi :
"Tu ne sens rien ?" Effectivement, une légère odeur de chair grillée provient d'un tuyau qui débouche à proximité. Ses petits yeux rapprochés s'illuminent : "Watson est le seul à bord à posséder des toilettes à incinération. Ce que tu sens, c'est la merde du capitaine !" Je m'enfuis sous son rire joyeux.
À 11 heures, Criss fait savoir par la radio qu'il rentre bredouille. Vingt minutes plus tard, il atterrit sur le pont arrière. Vanya, tenant sa caméra à bout de bras, descend, dépité. À part un cargo, pas la moindre barcasse de pêche à se mettre sous les dents. Incroyablement, la mer est vide ! Vers où diriger le Steve Irwin , dorénavant ? Locky, qui n'y connaît strictement rien en pêche à la senne, n'en a pas moins une obsession : poursuivre la route vers le sud-est. On ne sait pas trop pour quelle raison. Lamya et Alex, mieux au fait du dossier, militent pour mettre le cap à l'ouest, près de la terre où, à défaut de thoniers, la probabilité de croiser la route de cages est plus grande. C'est leur sage proposition que le capitaine finit par adopter. Alex me glisse dans l'oreille : "Hier soir, Watson m'a fait savoir que la première cage qu'on trouvait, on l'ouvrait." Le chat qui dort est enfin décidé à sortir ses griffes ! Mais il devra patienter encore, car, durant les heures qui suivent, aucun thonier n'est signalé. Décidément, nous sommes maudits.
À 15 h 30, une tortue entortillée dans un cordage en plastique est signalée.
Enfin de l'action ! Le capitaine met en panne le Steve Irwin . Un commando de trois hommes saute à l'eau pour délivrer l'animal, qui est le premier stupéfait. Sea Shepherd n'est pas venu pour rien en Méditerranée ! Pour fêter l'évènement, Paul Watson offre à l'équipage de piquer une tête dans la mer. Plouf ! Ce soir, à minuit, la pêche au thon sera définitivement fermée.
Demain, tout pêcheur surpris en train de pêcher sera forcément un braconnier. L'espoir renaît à bord.
http://www.lepoint.fr/sciences/2010-06-14/a-la-poursuite-des-braconniers-de-thons-rouges-carnet-de-bord-8-bateau-cherche-desesperement-thonier/2091/0/466614