14/06/2009
À Sumatra, le conflit entre hommes et animaux dégénère
Les animaux se rapprochent des zones habitées à la recherche de nourriture. Sur l'île indonésienne, les conflits entre hommes et animaux sauvages deviennent de plus en plus fréquents, et souvent mortels. Responsable : le recul des forêts qui réduit leurs territoires.
Punirah était profondément endormie lorsque deux gros éléphants mâles ont pénétré dans son village. À 70 ans, elle n'était plus suffisamment alerte pour quitter sa maison à temps ; elle est donc morte piétinée lorsque les animaux à défenses, attirés par l'odeur de sucre et de sel venue de sa cuisine, ont démoli les légers murs de bois de sa petite maison.
Punirah n'est que la dernière victime en date d'animaux sauvages. Et la liste de morts s'allonge dramatiquement. Depuis le début de l'année, on a recensé pas moins de 10 attaques de tigres à Sumatra, dont huit mortelles. «Mais les tigres, ce n'est rien, même s'ils mangent les hommes, estime Dermawan, un paysan. Les éléphants sont bien pires, car eux détruisent nos récoltes sans qu'on ne puisse rien faire.» Près de chez lui, une autre femme est morte piétinée, l'année dernière. Mais les raids des animaux sur les vergers, eux, arrivent au moins une fois par semaine et les paysans, déjà pauvres, peuvent ainsi voir s'évanouir en une nuit le résultat de longues semaines de labeur.
Sur les 25 dernières années, Sumatra - une île grande comme la France - a perdu les deux tiers de sa couverture forestière. Par conséquent, l'habitat naturel des orangs-outangs, éléphants, rhinocéros et tigres de Sumatra, toutes des espèces protégées et en voie de disparition, a été détruit. Et au fur et à mesure que leur territoire rétrécit, ils se rapprochent de plus en plus fréquemment des zones habitées par les hommes à la recherche de nourriture. D'où des conflits hommes/animaux qui vont crescendo.
Patrouilles antiéléphants
Pour se protéger, les villageois déposent des poisons ou installent des pièges aux alentours de leurs champs. Voire abattent les animaux sauvages quand ils en ont la possibilité. Il n'y a pas de statistiques officielles précises quant au nombre d'animaux tués, puisque ces actes sont illégaux, mais depuis le début de l'année, au moins quatre tigres ont été abattus. Et selon l'ONG WWF, entre 2002 et 2007 le «conflit» a fait 42 victimes humaines et une centaine d'éléphants. En mars dernier, l'ONG ProFauna a recensé 12 pièges à tigres sur un seul parc national, sans pouvoir déterminer si ceux-ci avaient été mis en place pour protéger des villages limitrophes ou pour alimenter le trafic illégal d'animaux sauvages.
Deux ONG ont instauré des patrouilles antiéléphants pour tenter de limiter l'impact de l'opposition homme/animaux. Celle de Faune et Flore internationale (FFI) circule dans les montagnes d'Aceh, à l'extrémité Nord de Sumatra, à la limite de la «porte de la jungle» - un ancien pan de forêt récemment défriché - par lequel les éléphants sauvages pénètrent dans le territoire des hommes. Ici, quatre pachydermes domestiqués sont chargés de repousser dans la forêt leurs cousins sauvages qui viennent dévaster les champs des paysans. La formule «éviter le conflit de manière pacifique» semble efficace et a été adoptée par une grande plantation d'huile de palme de Sumatra. Toutefois, cela ne reste qu'une solution sur le court terme, particulièrement si le rythme de la déforestation ne faiblit pas.
La province d'Aceh est celle où les forêts restent les mieux préservées de l'île grâce, paradoxalement, à la guerre civile qui l'a déchirée pendant trente ans. Pendant cette période, la jungle était le domaine exclusif des guérilleros et de l'armée, où les tronçonneuses ne pouvaient pas pénétrer. Mais depuis la signature du traité de paix, en 2005, la forêt a commencé à être grignotée et les animaux, autrefois relégués au cœur de la jungle, s'aventurent de plus en plus sur ses lisières.
«Depuis la fin du conflit, on peut enfin travailler dans nos champs et gagner un peu d'argent. Mais on a un nouveau problème maintenant, car nous sommes entrés en guerre contre les animaux», résume Saiffuddin, chef d'un village proche de la brigade antiéléphants de FFI.