Samedi 28 Novembre 2009
L'interminable cavale des visons d'Amérique !!
NATURE. Echappés d'un élevage périgourdin le 16 octobre, ils sont encore plus de 330 en liberté, faisant peser une lourde menace sur le vison d'Europe. Le téléphone portable à l'oreille, Dominique Audouin hausse les sourcils. « À Sarlat ? » Oui, à Sarlat. Un piégeur agréé a mis la main sur un vison d'Amérique à Sarlat. Le verrou de la rivière Dordogne a sauté, et c'est une très mauvaise nouvelle. Excellentes nageuses, les petites bestioles l'ont franchie et filé vers le nord. Il faut désormais les traquer partout dans un rayon d'une bonne douzaine de kilomètres autour de Saint-Cybranet (Dordogne), l'épicentre de la catastrophe.
Dominique Audouin est le patron de l'Entreprise pontoise de régulation des nuisibles (EPRN). Installé en Charente-Maritime, il a été désigné par la Diren (Direction régionale de l'environnement) d'Aquitaine pour résoudre le casse-tête du vison d'Amérique.
Le 16 octobre dernier, près de 3 000 de ces mustélidés s'échappaient de l'élevage de Saint-Cybranet suite au saccage nocturne des installations revendiqué par l'ALF (Animal Liberation Front), des activistes autoproclamés défenseurs des droits des animaux. Si l'essentiel des effectifs a été récupéré, on estime à 330, au moins, le nombre d'animaux encore dans la nature. Le mot d'ordre ? Celui qui s'appliquait aux voleurs de bétail à l'ouest du Pecos : « Wanted, dead or alive ».
Compétition directe
« On n'a pas le choix si l'on veut mener à bien le plan de restauration du vison d'Europe. On piège les visons d'Amérique depuis cinq-six ans pour gérer les fronts d'arrivée de l'espèce, à la limite du Gers et des Landes, par exemple, ou à celle entre les Hautes-Pyrénées et les Pyrénées-Atlantiques », détaille Marie-Françoise Bazerque, la directrice adjointe de la Diren Aquitaine.
Reconnaissable à son museau blanc, plus petit et moins costaud que son cousin américain, le vison d'Europe est directement en compétition avec lui pour trouver pitance au long des cours d'eau qu'il fréquente. Les poissons, les batraciens et les petits rongeurs constituent le régime alimentaire de cet animal exclusivement carnivore.
Or, cette espèce protégée est en situation très précaire. Décimé par les pollutions et la disparition des zones humides, « notre » vison n'est plus présent qu'en Aquitaine et en Poitou-Charentes. « Ce brusque apport de visons d'Amérique est une menace supplémentaire. Les visons sont typiquement des animaux de territoire. Là où il y en a un, il ne peut pas y en avoir un autre », estime-t-on au Comité français de l'UICN, l'Union internationale pour la conservation de la nature.
Dans les poulaillers
Jusqu'alors, les visons d'Amérique étaient présents en petit nombre dans les campagnes. Importés en France pour l'industrie de la fourrure, certains d'entre eux ont échappé au destin végétatif de l'étole pour faire souche en liberté. Mais leur faire face à aussi grande échelle au cœur du Périgord noir est un problème inédit.
« Il faut aller très vite. Plus on attend, plus ils vont loin en empruntant les couloirs des rivières et de leurs affluents. On les croyait inféodés aux zones humides mais, en fait, on les retrouve aussi sur les coteaux. Ils peuvent ainsi changer de bassin versant. Leur comportement est atypique parce qu'ils cherchent de la nourriture », soupire Dominique Audouin, qui est à pied d'œuvre depuis le 10 novembre.
Affamés, ils cherchent et ils trouvent. Chez les particuliers et les agriculteurs dont ils dévastent les poulaillers. Dans un élevage, 12 poulets ont été tués par un vison, 70 autres sont morts piétinés et étouffés. Les lapins sont d'autres cibles de choix. « Cinq poules à la fois chez moi ! Il leur avait bouffé la tête et le cou. Je les ai enterrées. Le lendemain, il en avait déterré deux », relate Roland Magnanou, qui habite une maison isolée entre Cénac-et-Saint-Julien et Saint-Martial-de-Nabirat. Ici, on apprécie fort peu ces dommages collatéraux.
Dominique Audouin a déjà placé plus de 150 pièges dans les environs. À proximité immédiate des cours d'eau et des étangs, et près des fermes dont le poulailler a été pillé. Les cages métalliques sont munies d'un appât. L'animal s'y retrouve emprisonné vivant, avant d'être ramené à l'élevage. Tout comme les dépouilles de ceux qui ont été tirés à la carabine.
Ce matin-là, Dominique Audouin et son épouse Myriam relèvent les cages au bord du Céou, un affluent de la Dordogne qui baigne Saint-Cybranet et dont le cours amont pointe au sud, dans le département du Lot. Au camping du Douzou, à quelques encablures du petit bourg de Bouzic, la porte fermée de la cage augure d'une prise. Déception. C'est un écureuil, mort foudroyé par le stress. « Plus couramment, on peut prendre des fouines ou des genettes », commente Dominique Audouin.
Une bonne prise
À 300 mètres en aval, bingo ! un splendide animal à la fourrure noire comme le jais s'agite dans une cage. C'est bel et bien un vison d'Amérique, une femelle qui affiche 1,250 kg à la pesée. Un bon poids mais qui reste très inférieur à celui des animaux au jour de leur grande évasion. Bien nourris dans l'élevage, les visons présentaient des rondeurs qui n'avaient rien à voir avec les nécessités de la vie naturelle. Incapables d'attraper des proies, un sport de haut niveau qu'ils n'avaient jamais pratiqué, ils ont fondu. Les piégeurs ont mis la main sur des femelles efflanquées qui pesaient moins de 900 grammes. Beaucoup ont dû mourir, de faim et d'accidents, d'autres se sont adaptés vaille que vaille. « Il faudrait un hiver froid. Faute de nourriture, ils seraient obligés de se montrer », espère Dominique Audouin.
Celui-ci note que les femelles constituent l'écrasante majorité des prises. Plus dodus, les mâles ont peut-être eu plus de difficultés à survivre. Ce serait sûrement le début de la solution. Synonyme de désastre écologique, la période des amours est pour le mois de mars. Il reste trois mois pour choper les célibataires.
http://www.sudouest.com/accueil/actualite/france/article/789088/mil.html